Vacances sur l'Esperanza -- posté le 22-23 Brahé 1510 TU
(Extrait du blog de Venus Primi, pressyborg)
« C’est toujours l’actu qui décide quand on part et là y’en a une brûlante pour toi, Coco ! Et quand tu m’en reparleras, je veux un papier au parfum de vérité, Coco. Je te l’ai dit cent fois, si tu veux parler d’un truc, expérimente-le d’abord. Toujours les trois règles ! Primo, le terrain, secundo le terrain et tertio le terrain ! »
Le patron, toujours à m’appeler Coco. En fait, il appelle tout le monde Coco. J’étais ravie de partir pour huit jours sur le nouveau léviathan de la Transgalactique. J’aime le terrain, me frotter à l’actu. Ce que j’aime moins c’est qu’on me dise « Coco, ton vaisseau t’attend. Tu as trente minutes pour rejoindre l’astroport ».
J’ai tout juste le temps de rentrer à mon conapt, jeter trois affaires dans mon sac, sortir en trombe et foncer vers l’astroport d’Iris en flirtant avec la mort dans la circulation aérienne des heures de pointes, à fond la caisse dans mon vieil hélimob. Ce vieux filou de rédac-chef avait déjà tout bien synchronisé. Il avait envoyé Trevor m’attendre au terminal d’embarquement, avec les billets, l’ordre de mission, le créditube et le dossier de presse de la Transgalactique sur l’Esperanza. « T’arrives seulement maintenant ? » me demande bêtement Trevor. Trevor a toujours été un con. Mais il a au moins une qualité (et c’est bien la seule à mon avis), c’est un con qui est toujours là au moment où on besoin de lui.
Je me casse avec un « C’est ça, merci, au revoir » pour me présenter à l’embarcadère. Me faufilant en courant entre les touristes, les personnes d’affaires et les formecs porteurs, j’arrive tout juste avant que ne se ferme le sas de coupée du vaisseau. C’est toute l’histoire de ma vie : toujours sur le fil du rasoir LOL.
Le Bronzage Intégral est un petit Candel édénien filant à 20 EAL à l’heure, à bord duquel on n’est pas étouffé par le confort. Assise entre un gros marchand qui devrait faire plus attention à son corps et un jeune couple avec son bébé braillard, le voyage commence bien. Et il va durer 15 heures… Oups, non, 15 heures et 30 minutes. La voix du pilote nous annonce que l’embarquement ayant été retardé, notre départ est reculé d’une demie-heure en raison du trafic dans l’espace cislunaire de Hyacinthe. Je m’enfonce dans mon siège et je jette des regards d’un côté et de l’autre, espérant que les autres passagers ne réaliseront pas que j’étais la dernière à monter à bord et donc que je ne suis pas étrangère à ce délai. Les agents de bord nous apportent des rafraîchissements pour nous faire patienter. Toujours ce même sourire artificiel quand on s’ennuie à mourir en bourlinguant sur un rafiot insignifiant pendant de nombreuses années. « Votre mission, ouvrir cette cannette », c’est du concentré d’adrénaline, pour sûr.
Par contre moi, de l’adrénaline, j’en ai à revendre. Il me faut dix minutes pour retrouver mon calme. Je dois prendre sur moi pour ne pas donner un coup du coude au gros qui mange son sandwich comme un porçon, ni pour hurler plus fort que le bébé pour le terroriser et le faire taire. Si au moins j’avais suivi les cours de conscience psi à l’académie… et surtout si je n’avais pas oublié ma foutue boîte de stimmos à la maison !!!
Pour passer le temps pendant les préparatifs pré-décollage qui doivent occuper le pilote et le mécanicien dans leur cabine transparente au sommet de la dérive de proue, j’observe l’activité sur le tarmac. Non loin de notre vaisseau, un petit Tabron de type Luciole repose sur ses champs suspenseurs au repos. Vu ses lignes pataudes, cela a dû être un vieux caboteur intrasystème, une antique barge à fusion modifiée il y a des centaines d’années via l’installation de propulseurs Varlet et le remplacement de sa coque de trifibranne par une enveloppe en hyperfilament énergisé. Leur pilote a activé la transparence partielle de coque et je peux constater que c’est un panzanopède. Deux Êtres sont en train d’effectuer des opérations de maintenance sur l’intrados de l’appareil, maintenus tête en bas par leurs semelles inductrices. Le plus trapu est un ballik vêtu d’un salopette malachite trop grande pour lui, et l’autre est un humain. Le premier se met à donner de grands coups sur une plaque de blindage avec son outil, et l’autre se précipite et commence à l’engueuler. J’ai juste le temps d’apercevoir le nom du vaisseau — 3A1 Arsinoé — avant que notre navire ne commence à s’élever à la verticale dans le bourdonnement sourd de ses motivateurs antigrav.
La sphère TriD interactive se matérialise devant moi. Je pointe un doigt sur la commande d’immersion et me voilà isolée sous un cône d’intimité, environnée de la projection holographique des imageurs extérieurs accompagnée de données de vol simplifiées. Ca m’évitera au moins d’entendre les vagissements de ce foutu gamin et les gargouillis de ce foutu marchand en train de boire son soda. Lorsque le Bronzage Intégral atteint l’altitude de mille mètres, une nouvelle vibration aux harmoniques subtiles remplace celle des antigravs : les moteurs Varlet viennent de démarrer et la vitesse ascensionnelle du Candel progresse maintenant géométriquement.
Je regarde vers le bas et je vois la surface du tarmac s’enfuir sous moi, puis l’astroport devenir une tâche grise dans le damier bariolé d’Iris, puis la mégapole devenir une flaque de couleur terne sur la courbure de Hyacinthe II. Le ciel vire à un indigo profond où les étoiles s’allument une à une. Le Candel franchit l’exosphère planétaire et accélère encore pour sortir de l’espace cislunaire et gagner le point de translation qui lui a été assigné.
Pas de jet de gaz ionisé ou de panache de flammes de fusion à la poupe du navire : un vaisseau à propulsion Varlet en vol spatial n’est pas très spectaculaire et le seul échappement énergétique qui le caractérise est la pâle lueur grenat émise par ses surfaces de gauchissement. Sauf lorsqu’il crée un point de Vérité. J’ai déjà vu ce spectacle des dizaines de fois, mais je n’arrive pas à m’en lasser. Une corolle pourpre éclot devant nous, se déploie en faisant miroiter une portion d’espace de plus en plus grande. Les vagues d’énergie, d’un rouge-orange profond, s’enroulent à la manière d’un diaphragme sur le pourtour du vortex, tandis qu’un disque de noirceur absolue se dilate en son centre telle la pupille d’une divinité. Le vaisseau franchit l’interface, puis le point de Vérité se rétracte derrière lui avant de disparaître dans un ultime flash de lumière octarine.
Dès que le navire passe dans en vol hyperluminique, comme je suis maintenant plus calme, je me plonge sur les dossiers remis par Trevor. Ca me permet également d’oublier les autres et de me retrouver seule dans le Triche-Lumière avec toutes ces sensations que j’ai toujours aimé. La coque du navire semble se dissoudre dans le néant tandis que la Psychoperception prend le pas sur ma vue, mon ouïe, puis mon odorat et finalement mon toucher. Des rideaux de draperies mordorées s’ouvrent sur le spectacle féérique des rubans soyeux des Routes entre les étoiles s’entrecroisant dans un néant laiteux aux effluves cristallines.
Le Vaisseau Lehouine de Classe Galactique Navire de Sa Majesté Esperanza. Les chiffres sur l’holoplaquette donnent le tournis : trente millions de tonnes, trente deux kilomètres de long, plus de deux millions cinq cents mille passagers, une capacité de transport maximale de 3000 Varlets et jusqu’à trois millions de tonnes de marchandises. Plusieurs villes, un massif montagneux, des forêts, deux mers, des îles paradisiaques, une mer de lave crachée par un volcan TriD. Pfiou !!
J’ai déjà navigué sur des Lehouines, sur des petits (façon de parler) de Classe Economique de moins de cinq millions de tonnes, comme sur des Classe Systèmes, plus massifs.
L’architecture interne de certains de ces monstres pouvait comporter des EcoSys sur plateformes tout autour de la quille centrale contenant les terminaux de transport. On voyait les Varlets franchir le champ de force principal et nous frôler silencieusement avant d’aller débarquer leur passagers et leurs cargaisons. D’autres étaient tout en cloisons énergétiques, les seules ouvertures donnant sur le vide spatial.
Mais là, on parle carrément d’un vaisseau-monde, comme Divine Endurance en route vers la galaxie d’Andromède, mais en plus petit.
Deux bonnes nouvelles se dévoilent en lisant le dossier. La première est que les commerciaux de la Transgalactique ne nous tiendront pas la chandelle tout le long du séjour : il n’y aurau qu’une seule conférence buffet pour tous les pressyborgs du secteur invités à bord de l’Esperanza, peu après notre arrivée.
La deuxième, c’est une chouette note du patron : « Coco, on prend en charge tous tes frais, mais surtout n’en profite pas pour acheter un vaisseau ». Sympa. Je devine maintenant pourquoi il m’a envoyé au lieu de Trevor. D’abord parce que Trevor est un vrai con. Ensuite, sûrement parce que le patron me récompense pour le scoop sur le trafic d’alyotis impliquant certains aristos de la Baronnie, les deux cents minutes d’autodoc nécessaires pour récupérer des caresses appuyées des deux gorilles envoyés en représailles, et la frayeur de risquer me voir quitter mon enveloppe physique plus d’une fois au cours de cette enquête.
La liste des activités proposées sur l’Esperanza est phénoménale. Avec huit jours de disponible, le planning va être serré. Pour commencer, je prévois déjà de tester d’autres résidences que le conapt dans Celestia que m’a réservé le journal. Un appartement dans la cité lacustre près des plages, et pour finir le séjour, un cottage dans la forêt, histoire de m’isoler un peu et de préparer mes notes et mes enregistrements.
Je me programme ensuite quelques activités. Commencer par m’acheter de quoi me faire une garde-robe, parce que là, je suis partie sans rien. Planifier ensuite une demi-journée de montagne, visiter la petite Venisse, plonger dans les eaux bleues d’un atoll, faire de l’équitation à la campagne, aller voir Copa-Columba et Festival (zut, je suis toujours interdite de casino !), la Mer de lave… et puis rencontrer des responsables des différentes guildes pour les interviewer sur le navire et leur métier. Eh oui, faut bosser aussi, LOL.
Toujours isolée dans les fantasmagories psychédéliques du Triche Lumière et dans mon travail, je commence à Percevoir des remous à une vingtaine d’équivalent années lumière. Puis je vois une énorme déformation de la trame du Triche-Lumière au centre de rides concentriques provoquées par une immense traînée noire au goût de charbon. A coup sûr le Lehouine, énorme vu la longueur de sa Veuve. En même temps, j’entends un carillon qui me fait revenir à la réalité du Candel. Le gros marchand encore, ainsi que le bébé… si mignon dans les bras de sa mère quand il dort. C’est un message du pilote. Nous sommes bien à une heure de l’Esperanza. Je ne m’étais pas trompée. C’est fou comme on peut perdre la notion du temps quand on se laisse dériver dans ce que les doctes teknos appellent la Surdimension Kinestésique.
Plus notre navire se rapproche, mieux je Perçois l’Esperanza et tout ce qui l’environne. Par l’Être Suprême, on dirait une reine bazeille entourée de centaines de bourdons. En élargissant ma perception, je découvre ce à quoi je n’avais pas encore fait attention. Des centaines de Varlets s’éloignent ou s’approchent du Lehouine suivant autant de vecteurs différents dans ce qui n’est qu’en apparence la plus parfaite confusion. D’autres lui tournent autour, probablement dans l’attente d’une autorisation d’appontage. Nous approchons face au gigantesque léviathan de l’espace, puis nous nous mettons nous même à tourner sur un circuit d’attente.
Pendant ce temps, les agents de bord réveillent tout le monde et donnent les consignes de passage aux douanes. « L’introduction de produits stupéfiants non ludiques et de produits ludiques de classe 6 ou plus, ainsi que des armes et des protections individuelles de combat étant interdite à bord des vaisseaux Lehouine, vous pourrez déposer en consigne aux douanes tous vos objets contrevenant à ce règlement. Veuillez également préparer votre carte d’embarquement… ».
En voyant la tête paniquée du soldat situé deux fauteuils devant moi et demandant des explications aux agents de bord, j’imagine que ce « pseudo-commando de la mort » n’est jamais monté sur un Lehouine, peut-être même n’est-il jamais allé dans l’espace, au moins sans tout son attirail LOL.
Le Candel fait enfin son approche finale en se dirigeant vers le champ de force opaque du dernier tiers du Lehouine, puis le traverse… Par l’Empereur !!! Eclairé par une pâle lumière blanche et par des millions de feux de signalisation, le hangar nous apparaît comme faisant pratiquement toute la hauteur du vaisseau, six mille quatre cents mètres. Pendant que nous nous dirigeons au ralenti vers l’un des débarcadères passagers, je vois du coté de mon hublot la zone de frêt, une multitude de Varlets cargos, et tournant autour d’eux commes des nuées de moucherons, une armée de formecs g-zéro manutentionnant des milliers de tonnes de marchandises, leurs gyrophares projetant sur les coques une lumière orangée stroboscopique.
Ce ballet de formes, de mouvements et de lumière est fascinant. Je ne me suis même pas rendue compte de l’appontage et de la mise en place des ancres magnétiques. Un nouveau carillon se fait entendre, le message nous souhaite la bienvenue puis nous indique où se diriger dans la zone franche vers les portillons de contrôle de sortie. Mon petit sac récupéré, je sors du vaisseau. Le bruit arrive d’un coup : les milliers de gens qui parlent, qui rient, qui toussent, s’ajoutent à la cacophonie ambiante des alarmes aigues de manutention, des bourdonnements graves d’alerte de proximité, des ancres magnétiques qui s’accrochent aux Varlets avec un claquement sec, des moteurs qui montent ou perdent en puissance, les annonces informatives et publicitaires.
Trouver les portillons de sortie, c’est facile, il n’y a qu’à suivre la masse de la foule, impossible de se tromper. On avance rapidement, en passant sous un portique de détection multi-senseurs. Les douaniers à la mine sévère portent tous un uniforme blanc impeccable, un arachnopistol sur une hanche, un paralyseur à l’autre. Ils sont accompagnés de logimecs d’investigation. Il vaut vraiment mieux déclarer ses armes, ses protections, ses prothèses et ses drogues avant de passer le portail au risque de subir un contrôle plus poussé à part. Si tu es cool, ils te passent gentiment un container pour tout mettre dedans. Tu reçois un reçu sur ton comset et tu vois tes biens mis en boîte s’envoler à toute vitesse dans les bras d’un logimec porteur en forme de soucoupe vers la zone de frêt sécurisée.
Je passe sans problème, puis dans le hall du terminal, entourée de passagers en transit et de minilogimecs-guide, submergée par les messages audios omniprésents, je branche en réseau mon comset sur l’infocosme du vaisseau et je vais m’asseoir sur un banc pour être à mon aise. Je navigue sur l’holovisu de mon terminal personnel pour envoyer mes demandes de rendez-vous et réserver mes résidences : la réponse est automatique et quasi immédiate. Avant de partir pour la gare taxibulle, je trouve en face de moi, en train de me dévisager, une jeune et grande femme à la peau caramel. Sur son crâne rasé une longue mèche noire aux pointes argentées caresse des sourcils finement épilés. Elle porte une veste longue aux manches relevées avec l’insigne de la spécialité Passerelle et le grade de Capitaine. Accompagnée par un Panzanopède, elle semble me reconnaître, je lui trouve un air très vaguement familier, mais d’où ???
« Venus Primi ? C’est moi, Banett. Lawrence… enfin Laure maintenant ». Ma première surprise passée, nous nous embrassons, moi un peu gênée quand même. Mais quelle incroyable surprise, si je m’y attendais LOL !… Il… Il ? Euh non, Elle est là pour accompagner un Panzanopède, le Capitaine KiQ4Ros, commandant du « Cube à Huit Faces » (vous savez, les multidimensions… !) un Transistel affecté à la mission d’oiseau-pilote de l’Esperanza. Le Capitaine KiQ4Ros nous quitte juste après les présentations en nous faisant savoir par une image télépathique qu’il va être en retard : dans ma tête je le vois flotter en fonçant vers son vaisseau qui part sans lui, ses pseudopodes paniqués s’agitant dans tous les sens puis en s’approchant du vide, freiner sauvagement des quatre fers, partir en dérapage incontrôlé, tomber dans le vide d’une manière ridicule et comique, sa dernière pensée en bulle-image étant « De là haut, je vois ma maisoooooooonnnnn…. ». On est pliées de rire toutes les deux. Laure m’apprend que c’est ce qui fait sa renommée dans tout l’équipage de l’Esperanza, son sens unique de l’humour en image.
Comme elle est pressée, elle me dit qu’elle me racontera tout, me donne rendez-vous chez elle pour sa fête privée dans trois jours et s’éclipse. Je reste là, comme un symbiote flagide shooté au somac, quelques secondes à réfléchir. Laure, enfin l’homme Lawrence à l’époque, et moi étions dans la même classe préparatoire à la Guilde Navyborg et nous couchions ensemble. Puis nous nous sommes séparés après la remise des diplômes de Maître. Je l’ai revu plus tard lorsque je participais à un reportage sur la reprise de la ceinture d’astéroïdes du système de Bélial pendant la deuxième Guerre Arcturienne contre les Graffs. Il était déjà Lieutenant, le plus jeune chef d’escadrille sur le front et le pilote au plus grand palmarès. Moi, je n’étais encore qu’Enseigne et stagiaire dans l’équipe pressyborg. Puis j’ai appris plus tard qu’il avait été abattu au dessus de Belial III et récupéré. Maintenant il, non elle, est Commandant en troisième de l’Esperanza et elle porte le patronyme Rosa. J’en apprendrais sûrement plus dans trois jours.
Le séjour commence déjà étrangement. En partant vers la gare de taxibulles, je perçois des éclats de voix et de l’agitation au niveau du portail. Je vois mon soldat, le « pseudo-commando de la mort », en train de se faire menotter alors qu’un adminicule arrive à toute vitesse. Cet idiot semble s’appeler Sergent Al Cabrero. Il aurait mieux fait de passer des vacances sur Prénuptia.
Après une courte attente, je monte dans un taxibulle, une bulle deux places pilotée par navimec, un amour de courtoisie. Dès que je lui ai donné l’adresse de mon conapt, le voilà qui part comme une Allumette dans les tunnels de circulation du vaisseau, fermés mais éclairés par des luminobandes qui défilent à une vitesse terrifiante.
Nous voilà arrivé à la gare la plus proche de mon nouveau chez moi. Quelques centaines de mètres à marcher dans une ambiance folle. Je traverse une immense galerie noire de monde, la plupart des gens portent des tenues d’été. Il y a des personnes seules, des couples, des familles avec enfants, des humains et des exotiques. Un brouhaha joyeux, des parfums sucrés ou acidulés qui ouvrent l’appétit, des magasins de présentation luxueuse déversant des musiques mélodiques ou des annonces de promotions, sous les arcades soutenues par des colonnes de plastimarbre blanc veiné de vert de cuivre… Ca me rappelle que je n’ai presque rien à me mettre et qu’il faut que je fasse les magasins (merci patron LOL). Mais avant je dois aller à cette foutue conférence buffet. J’irais crado, c’est tout LOL. Et puis les magasins ici sont ouverts 24 heures sur 24. Alors, où est le problème ?
Je passe devant une terrasse en plein air où circule un peu de monde pour admirer le point de vue. Allons voir. Je commence par plisser les yeux à cause du soleil… Soleil ? (NB comset : acheter des lunettes de soleil). C’est surprenant même après avoir lu l’holoplaquette. Puis je sens sur mon visage une brise… une brise marine rafraîchissante au parfum légèrement iodé !!! Mais où je suis, là ? Sur une planète ou un vaisseau ? On peut lire tout ce qu’on veut sur tout, tant qu’on ne l’a pas expérimenté, on ne peux pas vraiment savoir !
Je me rapproche de la balustrade. Quelle vue vertigineuse ! La terrasse se trouve à plus de mille mètres de hauteur, au-dessus d’un océan turquoise frangé d’écume et ocelé d’atolls verdoyants aux plages de sable blanc, sur lequel voguent de nombreux petits navires blancs. Et je peux presque toucher les nuages. En me concentrant un peu, j’arrive à Percevoir au-delà du champ de force le Triche-Lumière et ses mélanges de sensations, les courants et les Varlets qui entourent le Lehouine.
Je quitte la terrasse pour enfin rejoindre mon conapt. Un conapt grand comme quatre fois le mien sur Hyacinthe, au moins quatre cents mètres carré, un quatre pièces luxueux, équipé d’un mobilier beau et fonctionnel, une autocuisine, des murs triD (mode programmes ou paysages). Pas le temps de jeter mon sac quelque part, déjà j’entends la voix synthétique de la pseudo-IA : « Bonjour Mademoiselle Primi, je suis votre domomec. Voulez vous que je me charge de vos affaires ? ». Mais comme je n’ai presque rien, je réponds non. « Bien Mademoiselle. Je reste à votre entière disposition ». Je l’en remercie puis je découvre la chambre avec son lit spacieux garni de vrais draps. Pour sûr, ça va me changer de ma couche à suspenseurs. Comme il me reste deux heures, je vais en profiter pour prendre une douche. Et là je découvre que ma salle de bain n’a pas de douche à particules mais à eau. Elle fait aussi jacuzzi. Impressionnant ! Juste le temps de commander au domomec de m’avertir dans une heure trente de mon rendez-vous à la conférence, de me réserver en même temps un taxibulle, et je me plonge dans une eau chaude et bouillonnante qui me chatouille la peau et me relaxe. Je suis tellement détendue que je commence à m’assoupir, mais par habitude, je me réveille cinq minutes avant l’heure fatidique, momentanément revigorée. Après un bref séchage à l’air chaud, je rejoins ma chambre pour remettre mes vêtements jetés n’importe comment comme d’habitude. J’ai juste le temps de voir un mini-valet s’enfuir sous une trappe. Je retrouve mes vêtements lavés repassés, rangés sur le lit, un coup du domomec pour sûr. Il m’en faudrait un chez moi LOL !
Me voila partie pour la conférence qui a lieu dans une partie de Célestia dédiée aux affaires. J’entre dans une immense salle à colonnades en plastior aux gravures représentant l’histoire des Edéniens avant la mort de leur soleil, surmontée d’une fausse coupole de cristal sensée laisser entrer la lumière du soleil. Il y a déjà du monde qui attend le début de la conférence, aucun que je connaisse. La majorité d’entre eux cabotent autour du buffet couvert de mets fins et exquis. Il y a même une assiette de délicieux loukroums qui n’attendraient que moi si les morfales n’étaient pas déjà en place. Ça me rappelle un autre dicton du patron : « Coco, dans les buffets, il y a toujours trois types de personnes : les morfales, déjà autour de la table, les retardataires qui devront se faufiler pour n’obtenir qu’un petit canapé et les affamés. Si tu as faim, arrive en avance. Si tu veux interroger le conférencier, arrive en retard. »
Vu la tronche des morfales, je peux dire adieux aux loukroums. C’est donc tristement que je me rapproche de l’estrade, mon estomac émettant des borborygmes que j’essaye de cacher, honteuse.
La commerciale Communications monte sur l’estrade et commence un discours qui me gave déjà. Alors, tout en laissant branché le micro de mon comset pour enregistrer son discours, j’en profite pour naviguer sur l’infocosme et voir ce que je pourrais m’acheter tout à l’heure dans les boutiques de fringues. Je reçois aussi la confirmation de la sortie plongée et touristique de demain sur un monocoque, avec une teknote écologiste comme guide.
Les commerciaux ont été sympas de faire ça court, pas plus de trente minutes, pour nous convier ensuite au buffet. Le temps que je me rapproche, les loukroums ont déjà tous disparu. Je réussis quand même à récupérer une coupe de nectar dénabian et quelques canapés d’œufs de morine, mais les meilleurs mets se sont déjà volatilisés. En faisant le tour des pressyborgs, je constate que la plus part sont des photocopoches, comme on dit dans le métier. Des pressyborgs qui se recopient entre eux le travail d’un pigeon qu’ils ont attiré puis capturé. Donc, vaut mieux que je m’éloigne vite fait d’ici et que je ne les revoie plus avant la fin du séjour, ou bien il y aura des coudes qui vont voler et des plexus solaires qui vont claquer ! Pas la meilleure manière de commencer ses vacances LOL !
Avant de partir comme une voleuse, je me commande un taxibulle puis je m’éclipse en douce pour aller faire directement mes achats. Braquer les magasins. D’abord des vêtements plus adéquats à la vie ici que ma combi abestos anthracite, mon tee-shirt et mes bottines, se fondre avec le terrain. Je me choisis un débardeur, un pantalon large, un petit gilet à larges poches et des sandalettes pour aller avec. Après, pour la plage, un maillot deux-pièces blanc assorti à la couleur de mes cheveux, des mules, une serviette de bain et une paire de lunettes de soleil. Puis j’en profite pour m’acheter quelque chose plus sport, une brassière, un shorty et des sporties. Quand je sors du magasin, le vendeur a un grand sourire. Il a fait du chiffre. Et moi aussi j’ai le sourire parce que le chiffre en question ne sera pas débité de mon compte. Je passe plus de temps dans le deuxième magasin pour me trouver une tenue de soirée. Je dois bien essayer la moitié du stock de la boutique, la vendeuse au bord de la crise de nerf. Finalement je choisis une robe longue à holomotifs, très près du corps, à large décolleté et à fines bretelles. Ensuite je rajoute les accotés, nécessaires ou pas : un châle soyeux assorti à ma robe, de ravissantes petites sandales compensées, une vraie trousse de toilette bien complète, quelques parfums, des sous-vêtements, un petit sac à main et une boîte de stimmos. J’allais les oublier ceux là… Là aussi la vendeuse est radieuse en faisant les comptes. Moi cette semaine, je ne compte pas LOL.
J’arrive enfin au conapt, heureuse mais fourbue. Pas le temps de regarder les messages publicitaires qui inondent déjà la messagerie du domomec, les marchands ne chôment pas ici ! J’ai juste la force de jeter mes achats sur le lit et de virer mes bottines et ma combi pour être plus à mon aise. Pendant que le domomec fait ranger mes nouvelles affaires à ma demande, je sirote un cocktail local affalée sur la chaise longue de la terrasse, caressée par un petit vent chaud bien agréable et hypnotisée par un incroyable coucher de soleil alors que deux lunes apparaissent à l’horizon.
Trop fatiguée pour goûter le goulash que je me suis faite préparée, alors que je me sens tomber, je quitte la terrasse pour m’affaler mollement face contre le lit, avec juste assez de force pour commander au domomec les paramètres de mon réveil et le menu du tidèje, juste avant de sombrer.
Ce lit est si doux…
Texte original de SPQR
Corrections et remise en forme de Stéphane ‘Capitaine Cosmos’ Devouard