Empire Galactique s’est-il toujours appelé « empire galactique » ou bien y a-t-il eu d’autres noms de travail ? Le nom s’intègre fortement au jeu, et ça lui donne une part de son identité, alors, quid ?
Empire Galactique était le nom de travail depuis le début du projet. J’avais rencontré Gérard Klein qui s’intéressait beaucoup au phénomène alors émergent en France du jeu de rôles car il habite à côté de l’Oeuf Cube, une des premières boutiques à diffuser ce type de jeux.
Il souhaitait lancer un jeu de S-F et très vite l’idée d’un space opera s’est imposée. Aventure, aventure !… De là le cadre, idéal, indépassable, d’un Empire galactique comme dans les romans américains des maîtres du genre.
Empire galactique est finalement resté le nom du jeu jusqu’à la parution.
Il existe de très nombreuses ressemblances entre le jeu américain Traveller et Empire Galactique (6 carrières de base, résolution avec des d6, l’empire galactique, créations aléatoires de planètes et de créatures, tirage aléatoire des compétences, etc). Empire Galactique est-il un descendant (indirect) de Traveller ? Si c’est le cas, quels aspects du jeu ont été faits, a contrario, en contraste avec Traveller ?
A l’époque (1983) je connaissais mal les jeux de rôles et il n’y avait, dans le genre S.F., que deux titres, américains forcément, qui sortaient du lot : Traveller et Space Opera.
Le second était un salmigondis de règles hyper complexes dans la lignée des wargames SPI.
Le premier était simple, clair et n’avait qu’un défaut, majeur à mes yeux : c’était une caricature du modèle militariste américain qui menait le joueur directement de l’université à l’armée avant de le « lâcher » vers des aventures plus ou moins violentes.
J’avoue avoir sérieusement potassé Traveller quand Gérard Klein m’a confié le projet.
L’idée de la carrière tirée à coup de dés m’a paru bonne, parce qu’elle donnait du grain à moudre au joueur avant de lancer son personnage dans l’aventure.
Pour ce qui est du D6, cela faisait partie du cahier des charges imaginé par Gérard qui souhaitait une diffusion en librairie. Cela soulagerait ainsi le portefeuille des joueurs du coût des boîtes ou de dés spéciaux ! A l’époque le prix d’Empire était environ le tiers d’un jeu comparable.
Partant de là, comme je suis épris de simplicité, de symbolisme et d’ordre, l’idée des 6 carrières s’imposa d’elle-même ainsi que toutes les idées à base 6 qui suivirent. Et ceux qui connaissent également Avant Charlemagne savent que je suis allé assez loin dans cette direction
Les carrières d’Empire n’avaient rien à voir avec celles de Traveller qui étaient toutes, si je me souviens bien, issues de la sacro-sainte Armée galactique. De plus, la sixième, celle d’aventurier permettait toutes les libertés au joueur qui se serait senti dans un quelconque carcan.
Le jeu de rôles, inventé par Gygax et Arneson, était lui-même issu de Chain Mail, un wargame avec figurines. Il est très difficile de créer à partir de rien. Mais je crois qu’au final Empire et Traveller divergent fortement.
On pourrait également s’interroger sur les ressemblances entre Empire et le jeu Star Wars (D6, système simple, prise en compte de la difficulté par le nombre de dés, etc.).
Je remarque aussi que le système D6 est avec le D20 le seul survivant de toutes les tentatives de systèmes et que l’idée de Gérard était plutôt géniale pour l’époque.
A la lecture des règles de la seconde édition et des Encyclopédies sorties à peu près au même moment, on a l’étrange impression que ces différents livres d’un même jeu s’ignorent mutuellement (en dehors d’une trop courte page d’introduction dans les Encyclopédies). Y a-t-il eu une sorte de « cafouillage » éditorial ? Cela a t-il pu nuire, selon vous, au succès du jeu ?
Il s’est passé que pendant qu’une équipe de scénaristes et de game designers travaillaient sous ma direction sur l’Encyclopédie, j’avançais seul sur un autre jeu : Avant Charlemagne.
Toujours sur la base des D6, j’avais fini par élaborer des règles simples et synthétiques qui me paraissaient capables de faire face à toutes les situations.
Il s’agissait pour moi d’avoir un M.J., disposant d’un bagage de règles supérieur à l’aphorisme de Gygax (« je ne fais rouler les dés que pour impressionner les joueurs, mais la décision est déjà prise ») et quand même plus digeste que le Code des impôts auquel commençaient à ressembler certains jeux « réalistes » de l’époque »
Il y a une « loi » de l’esprit humain qui prétend qu’il n’est capable selon son intelligence propre que de saisir 5 à 7 idées (problèmes, concepts, symboles, femmes, osselets, tout ce que vous voudrez…) en même temps. Certains, plus élitistes, parient sur 3 à 9. Avec 6 cela paraissait coller à la moyenne
Mon idée, à l’époque était de trouver des règles simples et compatibles pour toutes sortes de jeux de rôles. C’était le projet, au même moment, d’un Steve Jackson avec gurps et c’est ce qui a fini par advenir pratiquement aujourd’hui avec la règle D20.
Après tout, quels que soient la période, l’ambiance ou le background, la nature humaine ne change pas (en tout cas pas celle des joueurs) ni la nature de la physique, de la réalité (du moins ce que nous en connaissons au moment de jouer).
Bref, à un certain moment il m’a fallu en même temps réécrire les règles d’Empire galactique (seconde mouture) pour le Livre de Poche et terminer les deux tomes de l’Encyclopédie.
Une tâche à la fois difficile et précise, dans un temps très limité. Ai-je eu un mauvais lancer de dés ? En tout cas ce ne fut pas un « fumble » et ce n’est pas cela qui causa la « perte » de l’entreprise Empire galactique.
Cela vient plutôt, à mon avis, d’une conjonction de circonstances. Avant Charlemagne fut un échec commercial. Les ventes d’Empire en Livre de Poche furent trop faibles malgré des scores qui feraient rêver les éditeurs de jeu d’aujourd’hui.
Si l’on ajoute à cela la traduction en français de Donjons et Dragons, il ne fallut même pas attendre la naissance du jeu de rôles Star Wars pour que les projets ultérieurs furent abandonnés. Ce n’était tout simplement pas dans la compétence des libraires de l’époque de comprendre et donc de vendre du jeu de rôles. Les plus pointus assimilaient cela aux Livres dont vous êtes le Héros.
Les règles de combat spatial de l’Encyclopédie Galactique volume I sont celles qui suscitent le plus de discussions sur le forum avec leurs fameuses formules mathématiques et leurs problèmes de compatibilité avec le système de base. Si c’était à refaire, maintiendriez-vous des règles de ce type ?
Dans les années 80, la mode était aux jeux complexes chez les joueurs un peu snobs qui « faisaient l’opinion » dans le jeu de rôles en France (malgré les efforts de nombreux professionnels qui essayaient de toucher un public plus large). Le Jeu de la Terre du Milieu était le must. Et le « réalisme » consistait à prendre en compte le plus de facteurs possibles en inventant une règle supplémentaire pour chaque nouveau problème rencontré. Cette attitude a tué le wargame sur papier et n’a pas contribué à la bonne santé du jeu de rôles quand Magic fut venu…
Malgré les apparences, la règle des combats de vaisseaux est relativement simple, eût égard à la complexité des conditions réelles de la physique spatiale. Pierre Zaplotny, qui en fut le principal artisan, a fait un boulot remarquable. Et l’évolution en parallèle des règles de base ne lui a pas facilité la tâche, c’est certain ! Je sais que beaucoup sur ce forum planchent sur des règles plus simples et plus performantes et je leur souhaite de réussir. Si j’avais le temps et les moyens de les refaire, je les ferais certainement plus simples. Mais l’expérience m’a appris qu’il faut beaucoup de temps et de travail pour arriver à la simplicité.
Avoir créé un jeu devenu un peu « culte » dans le petit monde du jeu de rôles, ça fait quoi ? On est fier ou bien on a l’impression d’être un peu mis derrière une vitrine ?
J’en suis très fier et un peu déçu que ce soi-disant « culte » vienne un peu trop tard. En tous cas je ne me suis jamais senti enfermé dans une vitrine.
En 1988, constatant la stagnation du jeu de rôles, j’ai opté pour les jeux micro qui commençaient alors leur ascension. J’ai quitté l’univers du vedettariat pour travailler dans des équipes anonymes.
Ce qui ne m’a pas empêché d’être à l’origine, comme scénariste, game designer ou chef de projet, de jeux qui ont été de bons jeux et de grands succès, comme Marco Polo, chez Infogrames, ou le jeu des Guignols de l’Info chez Canal+ multimédia. J’ai travaillé sur le 2ème Monde, précurseur des MMORPG, et j’ai même travaillé il y a deux ans sur Kigen, un projet de MMORPG sur téléphone mobile et Internet. Un projet tellement révolutionnaire, qu’il faudra attendre encore un peu que la technique et le marketing 3G arrivent à niveau pour qu’il puisse voir le jour.
Je suis également assez fier d’avoir été l’un des premiers à franchir cette passerelle entre jeux de rôles et jeux vidéo, comme Sandy Petersen ou Greg Costykian aux USA.
Ce qui ne m’a pas empêché de travailler aussi sur un jeu de Tarot ou des scénarios pour les Métabarons.
L’avenir d’Empire Galactique… ?
Il est entre vos mains.
Nous allons grâce aux efforts de quelques uns d’entre vous mettre en ligne la totalité, j’espère, des règles et scénarios déjà parus.
J’envisage également d’éditer un gros volume « collector » qui reprendrait tous ces textes. Mais la grande force du jeu de rôles a toujours été l’inventivité et la capacité des maîtres de jeu à créer leurs propres scénarios (et leurs propres règles aussi, d’ailleurs). Sans vouloir jouer « mes adieux au music-hall », il faudrait qu’Empire et le jeu de rôles en général remporte un sacré succès public pour que la machine galactique reparte vraiment… Ce qui me semble un peu utopique en ce moment.
Par contre, je suis, de loin, les discussions du forum, et ne ferait rien pour empêcher l’émergence de nouvelles règles ou background. Dans la mesure où la fidélité à l’esprit d’Empire serait préservée.
Vous avez collaboré il y a quelques temps à la gamme du jeu de rôles des Métabarons. Quels sont plus généralement aujourd’hui vos rapports avec le petit monde du jeu de rôles ?
Mes rapports avec le monde du jeu de rôles ont toujours été agréables et féconds. J’y conserve d’excellents amis et ne croit plus avoir beaucoup d’ennemis. C’est un vivier sans cesse renouvelé, mais qui réclame, hélas ! énormément de temps pour s’y consacrer à plein.
Y avait-il d’autres projets de scénarios ou d’aides jeu dans les cartons, ou bien tout était-il déjà sorti pour Empire Galactique, le jeu étant alors entrée naturellement en sommeil, ayant reçu tous les développements et suppléments possibles ?
Vous plaisantez ? Si le public et les libraires avaient suivi, la minuscule portion de planètes aux Frontières de l’Empire auraient pu se développer et devenir vraiment digne du titre du jeu. Il y a des tonnes de développements possibles.
Pourquoi imaginer que la conquête spatiale va s’arrêter parce qu’on a atteint la Lune ? Ah oui, il n’y a plus de budget et la concurrence n’existe plus… C’est un peu ce qui s’est passé pour Empire, mais il suffit de souffler un peu sur les braises.
Si l’édition en Livre de Poche avait été un succès, non seulement Empire se serait développé, grâce à l’équipe qui s’était mise en place, mais de nombreux autres jeux de rôles auraient vu le jour.
Plus particulièrement, la suite annoncée du scénario « Le dernier des Kandärs » paru dans le recueil Frontières de l’Empire existe-t-elle sous une forme ou une autre ? En l’état, le scénario est en fait difficilement exploitable malgré ses grandes qualités…
Je crois me souvenir que mon ami Duccio avait écrit une grande partie de la suite. Si vous avez un éditeur sous la main, je cois qu’il serait heureux de la poursuivre…
Avez-vous eu la tentation d’écrire un jour des nouvelles ou un roman se déroulant dans l’univers d’Empire Galactique ? Ou même, fantasme absolu de bien des participants à ce forum, une BD avec Manchu au dessin (miam !) ?
J’ai pour principe de ne pas parler de projets non réalisés ou encore trop jeunes. Donc, Joker !!!
Parlons un peu de l’univers d’Empire Galactique…
Pourquoi les races ET présentes dans le jeu nous semblent à la fois si intrigantes, notamment grâce aux illustrations de Manchu, et si peu développées en terme de background ? Ces ET existaient-ils avant le dessin de Manchu ou le processus de création était-il inversé ?
Nous avions régulièrement des réunions avec Gérard Klein pour faire avancer le jeu, et nous prolongions ces réunions avec Manchu pour discuter de l’univers d’Empire. Cela concernait les ET, mais aussi la technologie, les costumes, la vie quotidienne. Nous nous relancions mutuellement la balle et c’était presque un jeu entre nous pour rendre crédibles certains dessins délirants ou pour illustrer certaines contraintes scénaristiques.
Nous avions les yeux brillants devant l’espace de liberté et de créativité que Gérard nous laissait entrevoir et nous en avons profité. Mais toujours manque de temps et d’argent pour finaliser toutes les belles idées.
Pour développer le background d’une race, il faut de la place, un ou plusieurs scénarios. Une des qualités, je crois, d’Empire était de suggérer, avec peu de moyens, des idées permettant à des maîtres de jeux imaginatifs de broder pour leurs joueurs de belles histoires à leur faire vivre.
D’ailleurs, une des priorités des scénarios de Frontières et d’Encyclopédie était de reprendre les E.T. évoqués dans les règles de bases et de développer leur background.
On a également l’impression que de nombreuses races ET possèdent des pouvoirs psi (cf. le scénario « L’astéroïde », par exemple). Est-ce une généralité ou juste une coïncidence ?
Je n’avais pas remarqué, je suppose que c’était dans l’air du temps.
Cela permettait aussi aux joueurs d’être tenus en haleine et de se montrer plus circonspects. De ne pas se transformer trop facilement en barbares, récemment échappé de D&D qu’ils étaient à l’époque.
Cela donnait aussi au M.J. une grande latitude pour retomber sur ses pieds au cours de scénarios parfois complexes.
Et pour continuer avec les races ET : les joueurs peuvent-ils incarner des PJ Exotiques ? Ces races ont-elles des modificateurs au niveau des caractéristiques ou autres par rapport aux humains?
Avec les règles de bases et les 2 encyclopédies, on avait à peu près fait le tour d’une société galactique crédible où les joueurs pouvaient vivrent toutes sortes d’aventures.
Il aurait fallu davantage de temps pour créer des ET jouables et équilibrés. Il y aurait forcément des aptitudes et pouvoirs (psi ou physiques) différents, et donc un équilibrage délicat à faire. Mais ce n’était pas un interdit.
Le seul interdit que j’avais posé était celui de la stabilité de la toute-puissance de l’Empereur et de l’Empire. Car ce qui me faisait réellement peur, c’était de voir les joueurs se lancer à la conquête du trône galactique. Vu les « gros Bill » qui sévissaient alors (cela a du changer, j’espère…) cela semblait fort envisageable.
D’où les défenses extraordinaires de Tortran et sa présence au centre de la galaxie, endroit peu fréquentable dans la réalité.
D’où également la grande magnanimité de l’Empereur et son souci de préserver la diversité culturelle galactique. Il fallait qu’il soit invisible, démocratique et plutôt bienveillant pour permettre l’épanouissement des joueurs.
Est-ce qu’avec l’évolution technologique qu’il y a eu depuis vingt ans (par exemple : la génétique, les nanotechnologies…), vous reprendriez certains aspects de la technologie présentée dans . Et si oui, dans quels domaines en priorité ?
Certainement. Il y a quand même beaucoup de choses qui me semblent avoir tenu le coup. D’autres, notamment en informatique, qui sont devenues un peu ridicules. Mais on parlait déjà de la Toile en 1987… Il faudrait tenir compte pour d’éventuelles suites des progrès de la science tekno. Cela fait partie des tonnes d’idées qui restent à développer.
L’univers d’Empire Galactique est la synthèse d’innombrables références en matière de littérature SF. Pourriez-vous néanmoins nous conseiller un livre qui selon vous est particulièrement représentatif de l’ambiance que vous souhaitiez donner à Empire Galactique ?
A l’époque, celui qui était le plus proche, dans mon esprit, de l’ambiance d’Empire est Jack Vance, évidemment, et ce dans toute son œuvre, hors Fantasy.
J’ai déjà fait une liste de romans de référence dans Frontières il me semble. D’autres livres sont sortis depuis qui pourraient y figurer. Car l’idée d’Empire, qui date des débuts de la SF n’est toujours pas morte, loin de là. Des auteurs comme Orson Scott Card, Vernon Vinge, Pierre Bordage, Dan Simmons, Peter Hamilton ou Ian Banks, entre autres, ont tous créé des univers galactiques, dont il faudrait s’inspirer.
Que pensez-vous de l’univers de Star Wars ?
Un peu petit et trop manichéen à mon goût…
Mais Star Wars est une sacrée réussite et qui a fait beaucoup pour le développement de la S.F. vers le grand public. Georges Lucas est un vrai fan et un visionnaire. Un de mes grands souvenirs des années 80 est d’avoir vu la première trilogie dans la foulée à l’Escurial, une salle du 13ème, au cours d’une Nuit Star Wars.