.. ou grandeur et décadence de l’Empire Galactique
« Il ne me semble pas inutile, sur un site consacré au jeu de rôles Empire Galactique de revenir sur l’histoire de ses origines.
Vers 1983, éditeur chez Robert Laffont et intéressé par l’expansion du jeu de rôles, je fis quelques expériences notamment à Normale Sup, puis me renseignai auprès d’un remarquable hobbit, patron d’une boutique de casse-têtes, objets insolites et jeux de rôles, L’œuf Cube, rue Linné à Paris dans le cinquième arrondissement, à environ cinquante mètres de mon domicile (pur hasard). J’étais un client régulier et, je crois, un ami, de cet homme dont le nom m’échappe sur l’instant.
Mais la boutique existe toujours, et le fils de cet homme a repris et fait fructifier le royaume dont les murs se sont étendus à plusieurs autres commerces dans le voisinage immédiat.
Nous déplorâmes à l’époque, ce hobbit généreux et moi, deux choses au moins. Le prix excessif des boites de jeux (dont il n’avait en tant que commerçant qu’à se féliciter) et l’absence de jeux de science-fiction, au moins à l’époque.
En ce qui concerne le prix, un rapide calcul montrait qu’il était dû à la présence, outre le volume des règles, à quelques gadgets du genre stylo à bille, dé à vingt faces en plastique, boite surtout, TVA à 18,6% à l’époque alors que le livre n’était et n’est toujours taxé qu’à 5,5%.
Pour mon malheur, économiste de formation et de pratique, et croyant que le public, surtout jeune, était rationnel, je me fis la réflexion que l’essentiel du jeu était un livre contenant les règles, des scénarios, des plans, bref du texte et des illustrations, qu’on pouvait proposer en très bonne présentation pour environ la moitié voire le tiers du prix des boites. Les crayons à bille ne coûtent pas cher et les dés en plastique à nombre variable de faces non plus. D’autant qu’une paire de dés classiques peuvent simuler tout ce qu’on voudra.
Par ailleurs, éditeur chez Laffont et disposant d’une petite compétence dans le domaine de la science-fiction, je me dis qu’il devait être possible de créer un jeu original publié dans les conditions susdites. Le hobbit sympathique me mit en relation avec plusieurs créateurs possibles de jeux. Entre tous, je retins François Nédelec pour sa connaissance du domaine et de la SF, sa culture, son intelligence et sa gentillesse.
Et c’est ainsi que nous en vînmes à élaborer Empire Galactique dont il est au demeurant le principal, voire le seul auteur. Je m’assurai aussi de la collaboration de Manchu pour les illustrations, avec qui j’avais commencé à travailler au Livre de Poche quelques années plus tôt.
Je crois que l’équipe était bonne, et même sans doute la meilleure qu’il fût possible de réunir alors, et si c’était à refaire, je reprendrais la même.
Robert Laffont me donna son accord et nous publiâmes dans la nouvelle collection Simulations, deux volumes d’Empire Galactique puis un jeu à cheval entre l’histoire et la fantasy, Avant Charlemagne.
Extraire de François Nédelec les règles et le texte d’Empire ne fut pas de tout repos mais c’est la tâche d’un éditeur d’être un accoucheur, et l’enfant vit le jour, parfaitement constitué.
Donc en 1984, sauf erreur de ma part, Empire Galactique parut.
Malheureusement, des problèmes commerciaux imprévus apparurent aussitôt. Les boutiques alors spécialisées dans le jeu de rôles, mal couvertes par des représentants d’édition de livres, boycottèrent pratiquement le livre, au motif que vu son prix, leur marge commerciale allait chuter. Au fond, leur métier, c’était de vendre des boîtes et de faire rentrer des impôts. De leur côté, les libraires ignoraient le jeu de rôles, à l’exception du Livre dont vous êtres le héros, en poche, et trouvaient le prix d’un livre normal scandaleusement élevé.
Enfin, les commerciaux soutenaient que le public voulait acheter des jeux en boîtes !!! Chères de préférence, et ils avaient probablement raison.
Bref, comme souvent en France, une idée nouvelle se heurtait à des intérêts établis.
Ce ne fut pas un fiasco total puisque Empire se vendit à 10/12 000 exemplaires, le second volume à 8000 et Avant Charlemagne à 6000 environ. Mais ce ne fut pas le succès escompté et les éditions Laffont décidèrent de mettre fin à cet essai, sans pertes ni gains appréciables. Dans la foulée, elles publièrent cependant deux albums d’Empire Galactique, illustrés par Manchu et que je tiens pour de grandes réussites: esthétiques, sinon commerciales. Car ces albums se vendirent mal et, je crois, furent finalement soldés.
Mais le pire restait à venir. Ayant codirigé au Livre de Poche La Grande Anthologie de la science-fiction, puis commencé à diriger la série science-fiction du Livre de Poche, qui existe toujours, je me vis demander par Frédéric Ditis si on ne pouvait pas faire quelque chose dans le jeu de rôles, à moins que je ne l’ai convaincu de l’intérêt de la chose.
Bref, nous préparâmes une grandiose opération Empire Galactique en poche avec un ou deux volumes pour les règles et cinq ou six pour des scénarios. L’ensemble devait être complété et enveloppé par un splendide écran de jeu dû à Manchu. Nédelec se remit à la tâche, en profita pour actualiser les règles.
Et un splendide objet sous blister vit le jour.
Malheureusement, Frédéric Ditis fut destitué à la suite de dissensions internes chez Hachette et le nouveau directeur du Livre de Poche, Dominique Goust, décida de mettre l’opération à la poubelle. La quasi-totalité du stock fut détruite à grands frais et ceux qui détiennent encore le jeu complet avec son somptueux écran peuvent se dire qu’ils ont un véritable objet de collection.
Les raisons de Goust sont compréhensibles même si elles demeurent discutables. Nouveau venu chez Hachette, en droite ligne de Pocket, il n’avait aucune raison d’assumer un pari coûteux et relativement risqué de son prédécesseur. Le coût de l’opération serait mis au compte de ce dernier, et basta.
Je n’ai jamais complètement digéré ce double échec, non pas tant pour moi, ma carrière d’éditeur si j’ose appeler ça comme ça, n’en ayant pas souffert, mais pour mes collaborateurs et en première ligne François Nédelec qui n’a pas touché les dividendes complets de son travail. Je ne l’ai pas digéré non plus parce que je pense que sur le fond, nous avions raison. Un jeu de rôles est d’abord un livre, des informations, et non pas une boîte avec de coûteux et inutiles gadgets. Sans même parler de l’aspect fiscal.
A l’époque, Gallimard faisait un tabac avec les livres dont vous êtres le héros, destinés aux moins de dix ans, adaptés d’éditions étrangères, rapidement imités par une foultitude d’autres éditeurs, et avec un jeu de rôle traduit de l’allemand dont je n’avais pas voulu après une étude approfondie. Dans une boîte, avec un crayon à bille, quelques dés et un bloc-note. Et une TVA à 18,60. Les boutiques spécialisées étaient contentes. Et les libraires aussi.
C’est ainsi que ce qui aurait pu être un fleuron du jeu de rôles français voire sa principale manifestation, fit naufrage. »
Gérard Klein